mercredi 27 mars 2013
Séquence 5 texte 3
Séquence 5 : Réflexions
sur la nature humaine - Texte 3
- Quand je suis entré dans ce métier, je l'ai
fait abstraitement, en quelque sorte, parce que j'en avais besoin, parce que
c'était une situation comme les autres, une de celles que les jeunes gens se
proposent. Peut-être aussi parce que c'était particulièrement difficile pour un
fils d'ouvrier comme moi. Et puis il a fallu voir mourir. Savez-vous qu'il y a
des gens qui refusent de mourir ? Avez-vous jamais entendu une femme
crier : « jamais ! » au moment de mourir ? Moi, oui.
Et je me suis aperçu alors que je ne pouvais pas m'y habituer. J'étais jeune alors
et mon dégoût croyait s'adresser à l'ordre même du monde. Depuis, je suis
devenu plus modeste. Simplement, je ne suis toujours pas habitué à voir mourir.
je ne sais rien de plus. Mais après tout...
Rieux se tut et se rassit. Il se sentait la bouche sèche.
- Après tout ? dit doucement Tarrou.
- Après tout, reprit le docteur, et il hésita encore, regardant Tarrou
avec attention, c'est une chose qu'un homme comme vous peut comprendre,
n'est-ce pas, mais puisque l'ordre du monde est réglé par la mort, peut-être
vaut-il mieux pour Dieu qu'on ne croie pas en lui et qu'on lutte de toutes ses
forces contre la mort, sans lever les yeux vers ce ciel où il se tait.
- Oui, approuva Tarrou, je peux comprendre. Mais vos victoires seront
toujours provisoires, voilà tout.
Rieux parut s'assombrir.
- Toujours, je le sais. Ce n'est pas une raison pour cesser de lutter.
- Non, ce n'est pas une raison. Mais j'imagine alors ce que doit être
cette peste pour vous.
- Oui, dit Rieux. Une interminable défaite.
Tarrou fixa un moment le docteur, puis il se leva et marcha lourdement
vers la porte. Et Rieux le suivit. Il le rejoignait déjà quand Tarrou qui
semblait regarder ses pieds lui dit :
- Qui vous a appris tout cela, docteur ?
La réponse vint immédiatement :
- La misère.
Albert Camus, La Peste, 1947
séquence 5 texte 2
Séquence 5 : Réflexions
sur la nature humaine - Texte 2
« Le
roseau pensant », Pensées, Blaise PASCAL (1670)
L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible
de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier
s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer.
Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui
le tue, parce qu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui.
L’univers n’en sait rien.
Toute
notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il nous faut relever
et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons
donc à bien penser: voilà le principe de la morale.
Roseau
pensant.
Ce n’est point de l’espace que je dois
chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai pas
davantage en possédant des terres. Par l’espace, l’univers me comprend et
m’engloutit comme un point : par la pensée, je le comprends.
Pensées (1670), fragments
347-348
Séquence 2 texte 4
Séquence 2 : ZOLA,
LA CUREE
« Trois
monstruosités sociales »
L.A.
4- La représentation de Phèdre– chapitre 5 La Curée - Emile Zola - 1871
Un soir, ils allèrent ensemble au
Théâtre-Italien. Ils n'avaient seulement pas regardé l'affiche. Ils voulaient
voir une grande tragédienne italienne, la Ristori, qui faisait alors courir
tout Paris, et à laquelle la mode leur commandait de s'intéresser. On donnait
Phèdre. Il se rappelait assez son répertoire classique, elle savait assez
d'italien pour suivre la pièce. Et même ce drame leur causa une émotion
particulière, dans cette langue étrangère dont les sonorités leur semblaient,
par moments, un simple accompagnement d'orchestre soutenant la mimique des
acteurs. Hippolyte était un grand garçon pâle, très médiocre, qui pleurait son
rôle.
-
Quel godiche ! murmurait Maxime.
Mais la Ristori, avec ses fortes épaules
secouées par les sanglots, avec sa face tragique et ses gros bras, remuait
profondément Renée. Phèdre était du sang de Pasiphaé, et elle se demandait de
quel sang elle pouvait être, elle, l'incestueuse des temps nouveaux. Elle ne
voyait de la pièce que cette grande femme traînant sur les planches le crime
antique. Au premier acte, quand Phèdre fait à OEnone la confidence de sa
tendresse criminelle ; au second, lorsqu'elle se déclare, toute brûlante,
à Hippolyte ; et, plus tard, au quatrième, lorsque le retour de Thésée
l'accable, et qu'elle se maudit, dans une crise de fureur sombre, elle
emplissait la salle d'un tel cri de passion fauve, d'un tel besoin de volupté
surhumaine que la jeune femme sentait passer sur sa chair chaque frisson de son
désir et de ses remords.
- Attends, murmurait Maxime à son oreille, tu vas entendre le récit de Théramène. Il a une bonne tête, le vieux !
- Attends, murmurait Maxime à son oreille, tu vas entendre le récit de Théramène. Il a une bonne tête, le vieux !
Et il murmura d'une voix creuse :
A
peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char...
Mais Renée, quand le vieux parla, ne
regarda plus, n'écouta plus. Le lustre l'aveuglait, les chaleurs étouffantes
lui venaient de toutes ces faces pâles tendues vers la scène.
Le monologue continuait, interminable. Elle était dans la serre, sous les feuillages ardents, et elle rêvait que son mari entrait, la surprenait aux bras de son fils. Elle souffrait horriblement, elle perdait connaissance, quand le dernier râle de Phèdre, repentante et mourant dans les convulsions du poison, lui fit rouvrir les yeux. La toile tombait. Aurait-elle la force de s'empoisonner, un jour ? Comme son drame était mesquin et honteux à côté de l'épopée antique ! et tandis que Maxime lui nouait sous le menton sa sortie de théâtre, elle entendait encore gronder derrière elle cette rude voix de la Ristori, à laquelle répondait le murmure complaisant d'OEnone.
Le monologue continuait, interminable. Elle était dans la serre, sous les feuillages ardents, et elle rêvait que son mari entrait, la surprenait aux bras de son fils. Elle souffrait horriblement, elle perdait connaissance, quand le dernier râle de Phèdre, repentante et mourant dans les convulsions du poison, lui fit rouvrir les yeux. La toile tombait. Aurait-elle la force de s'empoisonner, un jour ? Comme son drame était mesquin et honteux à côté de l'épopée antique ! et tandis que Maxime lui nouait sous le menton sa sortie de théâtre, elle entendait encore gronder derrière elle cette rude voix de la Ristori, à laquelle répondait le murmure complaisant d'OEnone.
Dans le coupé, le jeune homme causa tout
seul, il trouvait en général la tragédie “ assommante ”, et préférait les
pièces des Bouffes. Cependant Phèdre
était “ corsée ”. Il s'y était intéressé, parce que... Et il serra la main de
Renée, pour compléter sa pensée. Puis une idée drôle lui passa par la tête, et
il céda à l'envie de faire un mot :
-
C'est moi, murmura-t-il, qui avais raison de ne pas m'approcher de la mer, à
Trouville.
Renée, perdue au fond de son rêve douloureux, se taisait. Il fallut qu'il répétât sa phrase.
Renée, perdue au fond de son rêve douloureux, se taisait. Il fallut qu'il répétât sa phrase.
-
Pourquoi ? lui demanda-t-elle étonnée, ne comprenant pas.
-
Mais le monstre…
Et il
eut un petit ricanement. Cette plaisanterie glaça la jeune femme. Tout se
détraqua dans sa tête. La Ristori n'était plus qu'un gros pantin qui
retroussait son péplum et montrait sa langue au public comme Blanche Muller, au
troisième acte de La Belle Hélène,
Théramène dansait le cancan, et Hippolyte mangeait des tartines de confiture en
se fourrant les doigts dans le nez. Quand un remords plus cuisant faisait
frissonner Renée, elle avait des rébellions superbes. Quel était donc son
crime, et pourquoi aurait-elle rougi ? Est-ce qu'elle ne marchait pas
chaque jour sur des infamies plus grandes ? Est-ce qu'elle ne coudoyait
pas, chez les ministres, aux Tuileries, partout, des misérables comme elle, qui
avaient sur leur chair des millions et qu'on adorait à deux genoux !
Séquence 2 texte 3
Séquence 2 : ZOLA,
LA CUREE
« Trois
monstruosités sociales »
L.A.
3- Portrait de Renée – chapitre
3
La Curée - Emile Zola - 1871
Cette
folle de Renée, qui était apparue une nuit dans le ciel parisien comme la fée
excentrique des voluptés mondaines, était la moins analysable des femmes.
Elevée au logis, elle eût sans doute émoussé, par la religion ou par quelque
autre satisfaction nerveuse, les pointes des désirs dont les piqûres
l'affolaient par instants. De tête, elle était bourgeoise ; elle avait une
honnêteté absolue, un amour des choses logiques, une crainte du ciel et de
l'enfer, une dose énorme de préjugés ; elle appartenait à son père, à
cette race calme et prudente où fleurissent les vertus du foyer. Et c'était
dans cette nature que germaient, que grandissaient les fantaisies prodigieuses,
les curiosités sans cesse renaissantes, les désirs inavouables. Chez les dames
de la Visitation, libre, l'esprit vagabondant dans les voluptés mystiques de la
chapelle et dans les amitiés charnelles de ses petites amies, elle s'était fait
une éducation fantasque, apprenant le vice, y mettant la franchise de sa
nature, détraquant sa jeune cervelle, au point qu'elle embarrassa
singulièrement son confesseur en lui avouant qu'un jour, pendant la messe, elle
avait eu une envie irraisonnée de se lever pour l'embrasser. Puis elle se
frappait la poitrine, elle pâlissait à l'idée du diable et de ses chaudières.
La faute qui amena plus tard son mariage avec Saccard, ce viol brutal qu'elle
subit avec une sorte d'attente épouvantée, la fit ensuite se mépriser, et fut
pour beaucoup dans l'abandon de toute sa vie. Elle pensa qu'elle n'avait plus à
lutter contre le mal, qu'il était en elle, que la logique l'autorisait à aller
jusqu'au bout de la science mauvaise. Elle était plus encore une curiosité
qu'un appétit. Jetée dans le monde du Second Empire, abandonnée à ses
imaginations, entretenue d'argent, encouragée dans ses excentricités les plus
tapageuses, elle se livra, le regretta, puis réussit enfin à tuer son honnêteté
expirante, toujours fouettée, toujours poussée en avant par son insatiable
besoin de savoir et de sentir.
Séquence 2 texte 2
Séquence 2 : ZOLA,
LA CUREE
« Trois
monstruosités sociales »
L.A.
2- La folie spéculative de Saccard – chapitre 2 La Curée - Emile Zola - 1871
Deux mois avant la mort d'Angèle, il l'avait menée, un dimanche, aux
buttes Montmartre. La pauvre femme adorait manger au restaurant ; elle
était heureuse, lorsque, après une longue promenade, il l'attablait dans
quelque cabaret de la banlieue. Ce jour-là, ils dînèrent au sommet des buttes,
dans un restaurant dont les fenêtres s'ouvraient sur Paris, sur cet océan de
maisons aux toits bleuâtres, pareils à des flots pressés emplissant l'immense
horizon. Leur table était placée devant une des fenêtres. Ce spectacle des
toits de Paris égaya Saccard. Au dessert, il fit apporter une bouteille de bourgogne.
Il souriait à l'espace, il était d'une galanterie inusitée. Et ses regards,
amoureusement, redescendaient toujours sur cette mer vivante et pullulante,
d'où sortait la voix profonde des foules. On était à l'automne ; la ville,
sous le grand ciel pâle, s'alanguissait, d'un gris doux et tendre, piqué çà et
là de verdures sombres, qui ressemblaient à de larges feuilles de nénuphars
nageant sot un lac ; le soleil se couchait dans un nuage rouge, et, tandis
que les fonds s'emplissaient d'une brume légère, une poussière d'or, une rosée
d'or tombait sur la rive droite de la ville, du côté de la Madeleine et des
Tuileries. C'était comme le coin enchanté d'une cité des Mille et une Nuits, aux
arbres d'émeraude, aux toits de saphir, aux girouettes de rubis. Il vint un
moment où le rayon qui glissait entre deux nuages fut si resplendissant, que
les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d'or dans un
creuset.
- Oh ! vois, dit Saccard, avec un
rire d'enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris !
Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces- là de n'être pas faciles à ramasser. Mais son mari s'était levé, et, s'accoudant sur la rampe de la fenêtre :
Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces- là de n'être pas faciles à ramasser. Mais son mari s'était levé, et, s'accoudant sur la rampe de la fenêtre :
- C'est la colonne Vendôme, n'est-ce
pas, qui brille là-bas ?... Ici, plus à droite, voilà la Madeleine... Un
beau quartier, où il y a beaucoup à faire... Ah ! cette fois, tout va
brûler ! Vois-tu ?... On dirait que le quartier bout dans l'alambic
de quelque chimiste.
Sa voix devenait grave et émue. La comparaison qu'il avait trouvée parut
le frapper beaucoup. Il avait bu du bourgogne, il s'oublia, il continua,
étendant le bras pour montrer Paris à Angèle, qui s'était également accoudée à
son côté :
- Oui, oui, j'ai bien dit, plus d'un
quartier va fondre, et il restera de l'or aux doigts des gens qui chaufferont
et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! vois donc comme il est
immense et comme il s'endort doucement ! C'est bête, ces grandes
villes ! Il ne se doute guère de l'armée de pioches qui l'attaquera un de
ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d'Anjou ne reluiraient pas si
fort sous le soleil couchant, s'ils savaient qu'ils n'ont plus que trois ou
quatre ans à vivre.
Angèle croyait que son mari plaisantait. Il avait parfois le goût de la
plaisanterie colossale et inquiétante. Elle riait, mais avec un vague effroi,
de voir ce petit homme se dresser au-dessus du géant couché à ses pieds, et lui
montrer le poing, en pinçant ironiquement les lèvres.
- On a déjà commencé, continua-t-il.
Mais ce n'est qu'une misère. Regarde là-bas, du côté des Halles, on a coupé
Paris en quatre...
Et de sa main étendue, ouverte et tranchante comme un coutelas, il fit
signe de séparer la ville en quatre parts.
- Tu veux parler de la rue de Rivoli et
du nouveau boulevard que l'on perce ? demanda sa femme.
- Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l'Hôtel de Ville. Jeux d'enfants que cela ! C'est bon pour mettre le public en appétit... Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse. Le second réseau trouera la ville de toutes parts, pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre... Tiens, suis un peu ma main. Du boulevard du Temple à la barrière du Trône, une entaille ; puis, de ce côté, une autre entaille, de la Madeleine à la plaine Monceau ; et une troisième entaille dans ce sens, une autre dans celui-ci, une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d'admirables voies stratégiques qui mettront les forts au coeur des vieux quartiers.
- Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l'Hôtel de Ville. Jeux d'enfants que cela ! C'est bon pour mettre le public en appétit... Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse. Le second réseau trouera la ville de toutes parts, pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre... Tiens, suis un peu ma main. Du boulevard du Temple à la barrière du Trône, une entaille ; puis, de ce côté, une autre entaille, de la Madeleine à la plaine Monceau ; et une troisième entaille dans ce sens, une autre dans celui-ci, une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d'admirables voies stratégiques qui mettront les forts au coeur des vieux quartiers.
La nuit venait. Sa main sèche et nerveuse coupait toujours dans le vide.
Angèle avait un léger frisson, devant ce couteau vivant, ces doigts de fer qui
hachaient sans pitié l'amas sans bornes des toits sombres. Depuis un instant,
les brumes de l'horizon roulaient doucement des hauteurs, et elle s'imaginait
entendre, sous les ténèbres qui s'amassaient dans les creux, de lointains
craquements, comme si la main de son mari eût réellement fait les entailles
dont il parlait, crevant Paris d'un bout à l'autre, brisant les poutres,
écrasant les moellons, laissant derrière elle de longues et affreuses blessures
de murs croulants. La petitesse de cette main, s'acharnant sur une proie
géante, finissait par inquiéter ; et, tandis qu'elle déchirait sans effort
les entrailles de l'énorme ville, on eût dit qu'elle prenait un étrange reflet
d'acier, dans le crépuscule bleuâtre.
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