lundi 27 mai 2013

séquence 7 Trois lettres de Rimbaud




Séquence 7 : Aventures poétiques et expériences de jeunesse- documents
Trois lettres d'Arthur Rimbaud (1870)
Lettre à Théodore de Banville du 24 mai 1870
Charleville (Ardennes), le 24 mai 187O.
A Monsieur Théodore de Banville.

Cher Maître,
    
  Nous sommes aux mois d'amour ; j'ai dix-sept ans. L'âge des espérances et des chimères, comme on dit, - et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, - pardon si c'est banal, - à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes - moi j'appelle cela du printemps.

      Que si je vous envoie quelques-uns de ces vers, - et cela en passant par Alph. Lemerre, le bon éditeur, - c'est que j'aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, - puisque le poète est un Parnassien, - épris de la beauté idéale ; c'est que j'aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. Voilà pourquoi, - c'est bête, n'est-ce pas, mais enfin ?...

      Dans deux ans, dans un an peut-être, n'est-ce pas, je serai à Paris. - Anch'io, messieurs du journal, je serai Parnassien ! - Je ne sais ce que j'ai là... qui veut monter... - Je jure, cher maître, d'adorer toujours les deux déesses, Muse et Liberté.

      Ne faites pas trop la moue en lisant ces vers :
      …Vous me rendriez fou de joie et d'espérance, si vous vouliez, cher Maître, faire faire à la pièce Credo in unam une petite place entre les Parnassiens  ... Je viendrais à la dernière série du Parnasse : cela ferait le Credo des poètes !... - Ambition ! ô Folle !  

                                                                            Arthur Rimbaud.  
Lettres à Georges Izambard*

A Georges Izambard
29, rue de l'Abbaye-des-Prés,
Douai (Nord).

             Très pressé.

                                                                               Charleville, 25 août 1870.


Monsieur,

            Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville !
            Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions. Parce qu'elle est à côté de Mézières, - une ville qu'on ne trouve pas, - parce qu'elle voit pérégriner dans ses rues deux ou trois cents de pioupious, cette benoîte population gesticule, prud'hommesquement spadassine, bien autrement que les assiégés de Metz et de Strasbourg ! C'est effrayant, les épiciers retraités qui revêtent l'uniforme ! C'est épatant comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les ventres, qui, chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de Mézières ; ma patrie se lève !... Moi j'aime mieux la voir assise : ne remuez pas les bottes ! c'est mon principe.

           Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé ; j'espérais des bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohémienneries enfin; j'espérais surtout des journaux, des livres... Rien ! Rien ! Le courrier n'envoie plus rien aux librairies ; Paris se moque de nous joliment : pas un seul livre nouveau ! c'est la mort ! Me voilà réduit, en fait de journaux, à l'honorable Courrier des Ardennes, - propriétaire, gérant, directeur, rédacteur en chef et rédacteur unique : A. Pouillard ! Ce journal résume les aspirations, les voeux et les opinions de la population : ainsi jugez ! c'est du propre !... On est exilé dans sa patrie !!!

          Heureusement, j'ai votre chambre : - Vous vous rappelez la permission que vous m'avez donnée. - J'ai emporté la moitié de vos livres ! J'ai pris Le Diable à Paris. Dites-moi un peu s'il y a jamais eu quelque chose de plus idiot que les dessins de Granville ? - J'ai Costal l'Indien, j'ai La Robe de Nessus, deux romans intéressants. Puis, que vous dire ?... J'ai lu tous vos livres, tous ; il y a trois jours, je suis descendu aux Épreuves, puis aux Glaneuses, - oui ! j'ai relu ce volume ! - puis ce fut tout !... Plus rien ; votre bibliothèque, ma dernière planche de salut, était épuisée !... Le Don Quichotte m'apparut ; hier, j'ai passé, deux heures durant, la revue des bois de Doré : maintenant, je n'ai plus rien!
         Je vous envoie ces vers ; lisez cela un matin, au soleil, comme je les ai faits : vous n'êtes plus professeur, maintenant, j'espère !...
         (…)
           J'ai les Fêtes galantes de Paul Verlaine, un joli in-12 écu. C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c'est adorable. Parfois de fortes licences : ainsi,
                                     Et la tigresse épou - vantable d'Hyrcanie
est un vers de ce volume.

           Achetez, je vous le conseille, La Bonne Chanson, un petit volume de vers du même poëte : ça vient de paraître chez Lemerre ; je ne l'ai pas lu : rien n'arrive ici ; mais plusieurs journaux en disent beaucoup de bien.
           Au revoir, envoyez-moi une lettre de 25 pages - poste restante - et bien vite !

                                                                                                                                                                                A. RIMBAUD.

P. S. - A bientôt, des révélations sur la vie que je vais mener après... les vacances.
Charleville, le 2 novembre 1870.


Monsieur,

       - A vous seul ceci. –

        Je suis rentré à Charleville un jour après vous avoir quitté. Ma Mère m'a reçu, et je suis là... tout à fait oisif. Ma mère ne me mettrait en pension qu'en janvier 71.
Eh bien, j'ai tenu ma promesse.
       Je meurs, je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans la grisaille. Que voulez-vous, je m'entête affreusement à adorer la liberté libre, et... un tas de choses que "ça fait pitié", n'est-ce pas ? Je devais repartir aujourd'hui même ; je le pouvais : j'étais vêtu de neuf, j'aurais vendu ma montre, et vive la liberté ! -Donc je suis resté ! je suis resté ! - et je voudrai repartir encore bien des fois. - Allons, chapeau, capote, les deux poings dans les poches, et sortons. - Mais je resterai, je resterai. Je n'ai pas promis cela ! Mais je le ferai pour mériter votre affection : vous me l'avez dit. Je la mériterai.
Le reconnaissance que je vous ai, je ne saurais pas vous l'exprimer aujourd'hui plus que l'autre jour. Je vous la prouverai ! Il s'agirait de faire quelque chose pour vous, que je mourrais pour le faire, - je vous en donne ma parole.
      J'ai encore un tas de choses à dire...

                                                      Ce "sans-cœur" de                                                                                            A. RIMBAUD.

Guerre ; pas de siège de Mézières. Pour quand ? On n'en parle pas. J'ai fait votre commission à M. Deverrière, et, s'il faut faire plus, je le ferai. - Par-ci, par là, des francs-tirades. Abominable prurigo d'idiotisme, tel est l'esprit de la population. On en entend de belles, allez. C'est dissolvant !

* Ces deux lettres envoyées par Arthur à son professeur encadrent par leurs dates les fugues de l’été et de l’automne 1870. Elles reflètent les thèmes et le style d’écriture des poèmes du recueil de Douai.  

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