Séquence 1 : Le
personnage de roman au féminin
Texte 3 : L’héroïne réaliste
Dès le commencement de juillet, elle compta
sur ses doigts combien de semaines lui restaient pour arriver au mois
d’octobre, pensant que le marquis d’Andervilliers, peut-être, donnerait encore
un bal à la Vaubyessard. Mais tout septembre s’écoula sans lettres ni visites.
Après l’ennui de cette déception, son
cœur de nouveau resta vide, et alors la série des mêmes journées recommença.
Elles allaient donc maintenant se
suivre ainsi à la file, toujours pareilles, innombrables, et n’apportant
rien ! Les autres existences, si plates qu’elles fussent, avaient du moins
la chance d’un événement. Une aventure amenait parfois des péripéties à
l’infini, et le décor changeait. Mais, pour elle, rien n’arrivait, Dieu l’avait
voulu ! L’avenir était un corridor tout noir, et qui avait au fond sa
porte bien fermée.
Elle abandonna la musique. Pourquoi
jouer ? qui l’entendrait ? Puisqu’elle ne pourrait jamais, en robe de
velours à manches courtes, sur un piano d’Érard, dans un concert, battant de
ses doigts légers les touches d’ivoire, sentir, comme une brise, circuler
autour d’elle un murmure d’extase, ce n’était pas la peine de s’ennuyer à
étudier. Elle laissa dans l’armoire ses cartons à dessin et la tapisserie. À
quoi bon ? à quoi bon ? La couture l’irritait.
– J’ai tout lu, se disait-elle.
Et elle restait à faire rougir les
pincettes, ou regardant la pluie tomber.
Comme elle était triste le dimanche, quand on sonnait les vêpres ! Elle écoutait, dans un hébétement attentif, tinter un à un les coups fêlés de la cloche. Quelque chat sur les toits, marchant lentement, bombait son dos aux rayons pâles du soleil. Le vent, sur la grande route, soufflait des traînées de poussière. Au loin, parfois, un chien hurlait : et la cloche, à temps égaux, continuait sa sonnerie monotone qui se perdait dans la campagne.
Comme elle était triste le dimanche, quand on sonnait les vêpres ! Elle écoutait, dans un hébétement attentif, tinter un à un les coups fêlés de la cloche. Quelque chat sur les toits, marchant lentement, bombait son dos aux rayons pâles du soleil. Le vent, sur la grande route, soufflait des traînées de poussière. Au loin, parfois, un chien hurlait : et la cloche, à temps égaux, continuait sa sonnerie monotone qui se perdait dans la campagne.
Cependant on sortait de l’église. Les
femmes en sabots cirés, les paysans en blouse neuve, les petits enfants qui
sautillaient nu-tête devant eux, tout rentrait chez soi. Et, jusqu’à la nuit,
cinq ou six hommes, toujours les mêmes, restaient à jouer au bouchon, devant la
grande porte de l’auberge.
L’hiver fut froid. Les carreaux, chaque
matin, étaient chargés de givre, et la lumière, blanchâtre à travers eux, comme
par des verres dépolis, quelquefois ne variait pas de la journée. Dès quatre
heures du soir, il fallait allumer la lampe.
Flaubert,
Madame Bovary, (1857),
1ère partie, chapitre IX
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire