Séquence 3 : Les luttes contre l’injustice
Texte n°2
Conçu initialement pour réparer l’erreur judiciaire à
l’origine de l’affaire Calas, cet ouvrage acquiert progressivement une portée
universelle, devenant un plaidoyer en faveur de la tolérance.
Ce n’est donc plus aux hommes que je
m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes
et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues
dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander
quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables
comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre
nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous
as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous
égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le
fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences
entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages
insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois
imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions
si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes
ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient
pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument
des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de
la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une
toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la
même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de
t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus
nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui
dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui
possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans
orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les
autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces
vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.
Puissent tous les hommes se souvenir
qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les
âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit
du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont
inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix,
et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages
divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet
instant.
Voltaire, Traité sur la tolérance
à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763), chapitre XXIII.
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