mercredi 27 mars 2013

Séquence 2 texte 1



Séquence 2 : ZOLA, LA CUREE
« Trois monstruosités sociales »
L.A. 1-  Incipit -  La Curée - Emile Zola  - 1871
           
            Au retour, dans l'encombrement des voitures qui rentraient par le bord du lac, la calèche dut mar­cher au pas. Un moment, l’embarras devint tel qu'il lui fallut même s'arrêter.
            Le soleil se couchait dans un ciel d’octobre, d'un gris. Clair, strié à l'horizon de minces nuages. Un dernier rayon, qui tombait des massifs lointains de la cascade, enfilait la chaussée, baignant d'une lumière rousse et pâlie la longue suite des voitures devenues immobiles. Les lueurs d'or, les éclairs vifs que jetaient les roues semblaient s'être fixés le long des réchampis[1] jaune paille de la calèche, dont les panneaux gros bleu reflétaient des coins du paysage environnant. Et, plus haut, en plein dans la clarté rousse qui les éclairait par derrière, et qui faisait luire les boutons de cuivre de leurs capotes à demi pliées, retombant du siège le cocher et le valet de pied, avec leur livrée bleu sombre, leurs culottes mastic et leurs gilets rayés noir et jaune, se tenaient raides, graves et patients, comme des laquais de bonne maison qu'un embarras de voitures ne parvient pas à fâcher. Leurs chapeaux, ornés d'une cocarde noire, avaient une grande dignité. Seuls, les chevaux, un superbe attelage bai, soufflaient d'impatience.
             - Tiens, dit Maxime, Laure d'Aurigny, là-bas, dans ce coupé... Vois donc. Renée. 
            Renée se souleva légèrement, cligna les yeux, avec cette moue exquise que lui faisait faire la faiblesse de sa vue.
 -  Je la croyais en fuite, dit-elle, Elle a changé la couleur de ses cheveux n'est-ce pas? 
-  Oui, reprit Maxime en riant, son nouvel amant déteste le rouge. 
            Renée, penchée en avant, la main appuyée sur la portière basse de la calèche, regardait, éveillée du rêve triste qui, depuis une heure, la tenait silen­cieuse, allongée au fond de la voiture, comme dans une chaise longue de convalescente. Elle portait, sur une robe de soie mauve, à tablier et à tunique, garnie de larges volants plissés, un petit paletot de drap blanc, aux revers de velours mauve, qui lui donnait un grand air de crânerie. Ses étranges cheveux fauve pâle, dont la couleur rappe­lait celle du beurre fin, étaient à peine cachés par un mince chapeau orné d'une touffe de roses du Bengale. Elle continuait à cligner des yeux, avec sa mine de garçon impertinent, son front pur traversé d'une grande ride, sa bouche, dont la lèvre supérieure avançait, ainsi que celle des enfants bou­deurs. Puis, comme elle voyait mal, elle prit son binocle, un binocle d'homme, à garniture d'écaille, et, le tenant à la main sans se le poser sur le nez, elle examina la grosse Laure d'Aurigny tout à son aise, d'un air parfaitement calme.
            Les voitures n'avançaient toujours pas. Au milieu des taches unies, de teinte sombre, que faisait la longue file des coupés, fort nombreux au Bois par cet après-midi d'automne, brillaient le coin d'une glace, le mors d'un cheval, la poignée argentée d'une lanterne, les galons d'un laquais haut placé sur son siège. Çà et là, dans un landau découvert, éclatait un bout d'étoffe, un bout de toilette de femme, soie ou velours. Il était peu à peu tombé un grand silence sur tout ce tapage éteint, devenu immobile. On entendait, du fond des voitures, les conversations des piétons. Il y avait des échanges de regards muets, de portières à portières; et per­sonne ne causait plus, dans cette attente que cou­paient seuls les craquements des harnais et le coup de sabot impatient d'un cheval. Au loin, les voix confuses du Bois se mouraient.




[1] Moulures, ornements

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