Séquence
2 : ZOLA, LA CUREE
« Trois
monstruosités sociales »
L.A. 1- Incipit
- La Curée - Emile Zola - 1871
Au retour, dans l'encombrement des
voitures qui rentraient par le bord du lac, la calèche dut marcher au pas. Un
moment, l’embarras devint tel qu'il lui fallut même s'arrêter.
Le soleil se couchait dans un ciel
d’octobre, d'un gris. Clair, strié à l'horizon de minces nuages. Un dernier
rayon, qui tombait des massifs lointains de la cascade, enfilait la chaussée,
baignant d'une lumière rousse et pâlie la longue suite des voitures devenues
immobiles. Les lueurs d'or, les éclairs vifs que jetaient les roues semblaient
s'être fixés le long des réchampis[1] jaune
paille de la calèche, dont les panneaux gros bleu reflétaient des coins du
paysage environnant. Et, plus haut, en plein dans la clarté rousse qui les
éclairait par derrière, et qui faisait luire les boutons de cuivre de leurs
capotes à demi pliées, retombant du siège le cocher et le valet de pied, avec
leur livrée bleu sombre, leurs culottes mastic et leurs gilets rayés noir et
jaune, se tenaient raides, graves et patients, comme des laquais de bonne
maison qu'un embarras de voitures ne parvient pas à fâcher. Leurs chapeaux,
ornés d'une cocarde noire, avaient une grande dignité. Seuls, les chevaux, un
superbe attelage bai, soufflaient d'impatience.
- Tiens,
dit Maxime, Laure d'Aurigny, là-bas, dans ce coupé... Vois donc. Renée.
Renée se souleva légèrement, cligna
les yeux, avec cette moue exquise que lui faisait faire la faiblesse de sa vue.
- Je la croyais en fuite, dit-elle, Elle a
changé la couleur de ses cheveux n'est-ce pas?
- Oui, reprit
Maxime en riant, son nouvel amant déteste le rouge.
Renée, penchée en avant, la main
appuyée sur la portière basse de la calèche, regardait, éveillée du rêve triste
qui, depuis une heure, la tenait silencieuse, allongée au fond de la voiture,
comme dans une chaise longue de convalescente. Elle portait, sur une robe de
soie mauve, à tablier et à tunique, garnie de larges volants plissés, un petit
paletot de drap blanc, aux revers de velours mauve, qui lui donnait un grand
air de crânerie. Ses étranges cheveux fauve pâle, dont la couleur rappelait
celle du beurre fin, étaient à peine cachés par un mince chapeau orné d'une
touffe de roses du Bengale. Elle continuait à cligner des yeux, avec sa mine de
garçon impertinent, son front pur traversé d'une grande ride, sa bouche, dont
la lèvre supérieure avançait, ainsi que celle des enfants boudeurs. Puis,
comme elle voyait mal, elle prit son binocle, un binocle d'homme, à garniture
d'écaille, et, le tenant à la main sans se le poser sur le nez, elle examina la
grosse Laure d'Aurigny tout à son aise, d'un air parfaitement calme.
Les voitures n'avançaient toujours
pas. Au milieu des taches unies, de teinte sombre, que faisait la longue file
des coupés, fort nombreux au Bois par cet après-midi d'automne, brillaient le
coin d'une glace, le mors d'un cheval, la poignée argentée d'une lanterne, les
galons d'un laquais haut placé sur son siège. Çà et là, dans un landau
découvert, éclatait un bout d'étoffe, un bout de toilette de femme, soie ou
velours. Il était peu à peu tombé un grand silence sur tout ce tapage éteint,
devenu immobile. On entendait, du fond des voitures, les conversations des
piétons. Il y avait des échanges de regards muets, de portières à portières; et
personne ne causait plus, dans cette attente que coupaient seuls les
craquements des harnais et le coup de sabot impatient d'un cheval. Au loin, les
voix confuses du Bois se mouraient.
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