LE MARIAGE
DE FIGARO Texte 4 Acte V Scène 3 (extrait)
FIGARO, seul, se promenant dans l'obscurité,
dit du ton le plus sombre :
dit du ton le plus sombre :
Ô femme ! femme !
femme ! créature faible et décevante ! ... nul animal créé ne peut
manquer à son instinct : le tien est-il donc de tromper ?... Après
m'avoir obstinément refusé quand je l'en pressais devant sa maîtresse ; à
l'instant qu'elle me donne sa parole, au milieu même de la cérémonie... Il
riait en lisant, le perfide ! et moi comme un benêt... Non, monsieur le
Comte, vous ne l'aurez pas... vous ne l'aurez pas. Parce que vous êtes un grand
seigneur, vous vous croyez un grand génie ! ... Noblesse, fortune, un
rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de
biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du
reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans
la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs, pour
subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les
Espagnes : et vous voulez jouter... On vient... c'est elle... ce n'est
personne. - La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de
mari, quoique je ne le sois qu'à moitié ! (Il s'assied sur un banc.)
Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? Fils de je ne sais pas qui,
volé par des bandits, élevé dans leurs moeurs, je m'en dégoûte et veux courir
une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J'apprends la
chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d'un grand seigneur peut
à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! - Las d'attrister
des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu
dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une
comédie dans les moeurs du sérail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder
Mahomet sans scrupule : à l'instant un envoyé... de je ne sais où se
plaint que j'offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie, de
la presqu'île de l'Inde, toute l'Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de
Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux
princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent
l'omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens. - Ne pouvant avilir
l'esprit, on se venge en le maltraitant. - Mes joues creusaient, mon terme
était échu : je voyais de loin arriver l'affreux recors, la plume fichée
dans sa perruque : en frémissant je m'évertue. Il s'élève, une question
sur la nature des richesses ; et, comme il n'est pas nécessaire de tenir
les choses pour en raisonner, n'ayant pas un sol, j'écris sur la valeur de
l'argent et sur son produit net : sitôt je vois du fond d'un fiacre baisser
pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je laissai l'espérance et
la liberté. (Il se lève.) Que je
voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal
qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui
dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en
gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge
flatteur ; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits
écrits. (Il se rassied.)
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